La criminalisation de la dissidence sous Bolsonaro

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Déjà pendant la campagne électorale de 2018, Bolsonaro et son groupe politique ont soutenu et mis de l’avant des propositions problématiques du point de vue de la criminalisation ou de la persécution de la dissidence, notamment : 1) des attaques contre les professeurs universitaires et des écoles secondaires; 2) des discours haineux envers des groupes minoritaires, des groupes politiques de gauche et des défenseurs de droits de la personne; et 3) des promesses électorales pour faciliter l’accès aux armes à feu et pour exempter les forces d’ordres de la responsabilisation criminelle des agents dans leurs opérations de maintien de l’ordre.

 I – Des attaques contre des universitaires et des écoles secondaires

En ce qui a trait à ce premier enjeu, le Bolsonarisme accuse les professeurs d’endoctriner les étudiants avec des valeurs communistes et « gayistes » contre la famille, la religion et les bonnes manières. C’est un délire qui est devenu dangereux après l’ascension de Bolsonaro à la présidence parce qu’il a revu le ministère de l’éducation à partir d’une telle orientation, ce qui produit des effets dans le réseaux d’universités fédérales (les grandes universités de recherche du pays), en plus de couper des subventions dans les domaines des sciences humaines et même d’intervenir dans le processus électorale pour choisir les recteurs des universités fédérales. Ce qui a commencé comme « l’enseignement sans politique », est rapidement devenu un discours anti-scientifique et anti-dissidence de plus grande envergure. Les feux de forêt et la déforestation en Amazonie, documentés par les scientifiques, même ceux travaillant pour l’État, se sont vus critiquer par le gouvernement qui les a accusés de faire de la politique et de travailler pour les ONG environnementalistes financées par Leonardo Di Caprio afin de brûler l’Amazonie. Le cas de Ricardo Galvão est emblématique. L’ancien directeur de l’INPA (l’Agence aérospatiale brésilienne) a confronté le gouvernement, donné sa démission et continué de résister ensuite, à titre de professeur d’université et activiste scientifique. Il a été nommé par la Nature comme l’un des scientifiques les plus importants de la planète en 2019. Les attaques contre la dissidence universitaire et scientifique sont devenues encore plus mortelles dans le contexte de la pandémie de Covid-19.

II – Des discours haineux encourageant la violence contre des groupes minoritaires, des groupes politiques de gauche et les défenseurs de droits humains

Tout au long de sa carrière politique, Bolsonaro a tenu des discours haineux – parfois hautement médiatisés – envers les groupes minoritaires, ceux associés à la gauche politique et les défenseurs de droits humains (DDH). Parmi ses frasques les plus célèbres figure une envolée datée de 2014 et visant Maria do Rosario, élue au congrès du Parti des Travailleurs (PT), à l’effet de laquelle elle serait trop laide pour “mériter” d’être violée. Il a aussi affirmé haut et fort à de nombreuses reprises que les Afro-Brésiliens étaient des paresseux sans aucune valeur, les comparant à des animaux à mettre au zoo. Il a de manière semblable affirmé, en 2011, qu’aimer un fils homosexuel serait pour lui impossible et qu’il préférerait plutôt le voir mourir lors d’un accident.

L’assassinat de Marielle Franco, en 2018, représente le cas phare quant à la violence ciblant les DDH issus de minorités au Brésil. Née et élevée dans la favela de Maré, quartier pauvre de Rio de Janeiro, Marielle Franco était une sociologue féministe socialiste, militante LGBTQ+ qui a consacré sa vie à militer pour les droits humains – en particulier ceux des afro-descendants et autres indvidus issus des périphéries – et contre la violence. Conseillère municipale élue sous la bannière du Parti socialisme et liberté (Partido Socialismo e Liberdade), elle fut assassinée le 14 mars 2018, après avoir publiquement critiqué le recours aux forces militaires pour faire régner l’ordre dans les favelas. Demeurant toujours irrésolu à ce jour,  ce crime illustre à la perfection le climat d’impunité entourant la violence à l’égard des DDH au Brésil. Au cours des dernières années, le pays a connu une forte recrudescence de la violence commise à l’endroit des DDH.

Il faut toutefois noter que le meurtre ne représente qu’une forme – bien qu’extrême – de violence subie par ces derniers. Ils s’exposent aussi à des menaces de mort, des attaques physiques, des enlèvements ciblés, du harcèlement, de la stigmatisation, de la surveillance, des arrestations arbitraires et des recours indus à la justice contre leur personne pour défendre des droits internationalement reconnus et protégés (voir : https://www.ishr.ch/sites/default/files/documents/brazil_briefing_paper_sr_hrds.pdf ; https://www.frontlinedefenders.org/en/location/brazil; https://www.frontlinedefenders.org/sites/default/files/stk_-_brazil_0.pdf). À l’endroit des femmes, cette violence revêt aussi souvent un caractère sexuel et/ou genré, le harcèlement sexuel et les viols en constituant de bons exemples.

Différents types de DDH sont ciblés. Le modèle de développement économique basé sur l’extractivisme rend les défenseurs de droits liés au territoire, à l’environnement et aux peuples indigènes particulièrement vulnérables. Selon les chiffres colligés par Global Witness en 2019, le Brésil occupe le troisième rang mondial quant au nombre total de meurtres (24) commis contre ces défenseurs de droits, tout juste derrière la Colombie et les Philippines. Ils sont aussi les victimes de campagnes de salissage et de plaintes sans fondement juridique, tactiques visant à les réduire au silence.

Les DDH œuvrant pour les droits de la communauté LGBTQ+ sont aussi particulièrement à risque au Brésil, qui caracole en tête de liste quant au nombre de meurtres homophobes qui y sont commis, enregistrant à lui seul 44% de la totalité mondiale. L’organisation Grupo Gay da Bahia, qui recense des données à la grandeur du pays, y a enregistré 329 assassinats homophobe en 2019 – les transgenres subissant la violence la plus intense -, un chiffre nécessairement sous-estimé. Le gouvernement Bolsonaro ne fait rien pour ralentir cette tendance lourde. Alors que la Cour suprême a décidé de criminaliser l’homophobie en 2019, Bolsonaro s’est érigé en adversaire de la plus haute instance du pays, proférant que la Cour avait outrepassé sa juridiction et affirmant vouloir nommer un juge évangéliste pour faire contrepoids aux progressistes. Ce genre de prise de position contribue à la stigmatisation des DDH et encourage la perpétuation d’attaques à leur endroit. La réalité du parlementaire Jean Wyllys, ouvertement homosexuel, illustre à la perfection cette réalité alors que, menacé de mort, il a dû fuir le pays en 2019 et vivre en exil forcé, à Barcelone, puis en Allemagne.

Ainsi, devant l’augmentation de cette violence, l’État n’accentue en rien sa protection à l’égard des DDH. Malgré l’obligation lui incombant de promouvoir et protéger les droits humains, ses agents font au contraire preuve d’abus, ayant fréquemment recours à une force excessive, et ce, particulièrement lors de manifestations, alors que les forces de sécurité s’abattent sur les protestataires. Les forces de l’ordre s’attaquent ainsi particulièrement et de manière disproportionnée aux DDH, ainsi qu’aux jeunes afro-descendants issus de favelas et autres communautés marginalisées susmentionnées. Même l’existence d’un programme officiel spécifique de protection des DDH (Programa de Proteção às Defensoras e Defensores de Direitos Humanos) n’a pas changé la donne, rendu inefficace par un manque de volonté politique, de financement et de cadre juridique.

Dans un tel contexte, l’impunité généralisée est un facteur aggravant, encourageant la perpétuation de la violence contre les DDH et les communautés marginalisées, et en expliquant l’accentuation.

III – Des promesses électorales pour faciliter l’accès aux armes à feu et l’impunité d’agents d’État dans leurs opérations de maintien de l’ordre

En ce qui concerne le troisième enjeu, le gouvernement Bolsonaro a poussé les politiques centrées sur la « loi et l’ordre » aux limites de l’acceptable dans un contexte démocratique. Son discours en faveur du durcissement du système de justice criminel n’était pas une nouveauté et dès la campagne électorale de 2018, il a promu des réformes controversées, telles que l’augmentation de l’utilisation de l’armée dans le maintien de l’ordre (opérations de « garantie de la loi et de l’ordre », GLO) et la réforme du Code Criminel pour en exempter les abus dans les interventions policières. À noter que les opérations de GLO ont été menées de manière sporadique depuis 1992, notamment dans le contexte des grands évènements (Coupe du Monde de Soccer 2014, Élections, etc.), et qu’une opération GLO de longue durée (11 mois) était en vigueur à Rio de Janeiro en 2018 avec un historique de violation des droits et d’abus des autorités. En 2019, Bolsonaro a envoyé le projet de loi 6.125/2019 au Congrès qui exempte le personnel militaire de sanctions dans certaines situations pendant les opérations de GLO. Le projet de loi est toujours en discussion au Congrès et sa non-approbation explique le zèle du gouvernement Bolsonaro dans l’autorisation de ces opérations pendant son mandat. Dans la même direction, le projet de loi 882/2019 (la « loi anti-crime ») proposait la même chose pour les abus dans les interventions policières (« excludente ilicitude »), mais l’opposition a réussi à exclure cela et d’autres éléments problématiques du projet de loi. Cependant, le gouvernement Bolsonaro a annoncé un possible accord pour approuver l’exemption aux forces d’ordre dans les prochains mois à partir d’une modification du projet de loi 6.125/2019 qui est toujours au Congrès.

Toujours en lien avec ses promesses électorales, Bolsonaro facilite l’accès aux armes de feu depuis son arrivé au pouvoir. En 2019, il a promulgué trois décrets à cette fin (9.844, 9.845 et 9.846/2019), ce qui a augmenté l’importation d’armes et le nombre d’armes et de munitions en circulation au pays. En février 2021, pendant le pire moment de la pandémie au pays (l’effondrement des hôpitaux à Manaus par manque d’oxygène), Bolsonoro a promulgué quatre autres décrets pour faciliter encore davantage l’accès aux armes et munitions (10.627, 10.628, 10.629 et 10.630/2021). Finalement et dans la même direction d’un durcissement de la gouvernance de la dissidence politique, le projet de loi 4.363/2001, un vieux projet sur la réglementation de la police militaire et des pompiers militaires, a été ressuscité dans la première année du gouvernement Bolsonaro (2019) avec le but, entre autres choses, de donner plus d’autonomie aux PMs par rapport au gouvernements locaux. Cela est un développent inquiétant et très critiqué par les experts, notamment à cause de la possible instrumentalisation des forces policières par des groupes d’extrême-droite, internes et externes à la police, et du manque de contrôle externe sur les pratiques policières. L’autonomisation des PMs est aussi une source d’inquiétude pour des analystes politiques, des journalistes et des politiciens dans l’opposition à cause d’éventuels impacts que cela pourrait avoir sur les élections 2022, surtout par rapport à la possibilité d’une rupture institutionnelle dans le cas où le Bolsonarisme perdait le pouvoir.        


This content has been updated on March 11, 2021.