En date du 5 mars 2020 (en développement).
En bref
En dépit des vifs débats suscités, le Congrès a approuvé le 11 février dernier avec 81 votes sur 160 le projet de loi 5257 concernant la réforme de la Loi sur les organisations non gouvernementales (ONG) de développement. Suite à cette décision, une quinzaine de groupes, dont des organisations de la société civile (OSC) et quelques partis de l’opposition, ont déposé à la Cour constitutionnelle plus de 10 recours de protection juridique (amparos) dénonçant les atteintes à la liberté d’association et d’expression amenées par la réforme. Plusieurs OSC ont jugé problématique l’ajout d’un nouvel article autorisant le ministère de l’Intérieur à annuler et dissoudre toute organisation non gouvernementale dont les activités seraient perçues contraires à la loi et à l’ordre. D’autres ont également critiqué que l’introduction de nouvelles procédures administratives viendrait complexifier la gestion interne à outrance, ce qui augmenterait les risques d’inconformité et donc de dissolution. En effet, avec cet élargissement du pouvoir discrétionnaire de l’État, on craint l’ouverture à une potentielle dérive autoritaire dans ce pays post-conflit.
Le 27 février 2020, sans égard aux recommandations de sénateurs américains, de députés européens et de représentants des Nations unies, le nouveau président en poste depuis le 14 janvier 2020, Alejandro Giammattei, a refusé d’émettre son veto et a entériné le projet par le décret 4-2020. Cependant, en réponse aux recours, la Cour constitutionnelle a ordonné le 2 mars par injonction interlocutoire la suspension provisoire des décisions du congrès et du président puisque le décret tel que conçu actuellement représente une menace pour les droits humains, particulièrement en fragilisant le droit à la libre association. Cependant, plusieurs députés favorables à la loi ont argué que la Cour aurait dû communiquer sa décision avant que le président donne son aval au 5257. Ainsi, au lendemain de l’annonce, le président a déclaré que la décision de la Cour n’empêcherait l’entrée en vigueur de la loi prévue le 7 mars.
En profondeur
Créée sous la présidence de Jimmy Morales, ayant pris fin le 14 janvier dernier, le projet de loi 5257 a été réintroduite in extremis à l’intérieur d’une motion concernant le coronarovirus pour ajouter les deux sujets à l’ordre du jour de la journée suivante.
L’initiative 5257 contient 26 articles, dont les changements suivants :
- obligation aux ONG de définir leur catégorie d’activités dans leurs lettres patentes et déclaration au registre des personnes morales;
- obligation de s’inscrire dans des registres additionnels, tels que ceux auprès du Secrétariat de planification et de programmation de la présidence (SEGEPLAN), le Bureau du procureur de la nation et du ministère des Relations extérieures (s’il s’agit d’une organisation internationale), ces dernières institutions relevant du président et pouvant donc être sujettes à des décisions politiques;
- obligation de gérer leurs fonds à travers le système bancaire et d’autres obligations financières, telles que rendre responsables les membres du conseil d’administration en cas de dettes;
- accorde au ministère de l’Intérieur le pouvoir de dissoudre des ONG si les activités de celles-ci sont perçues contraires à la loi et à l’ordre.
L’entrecroisement de ces 4 nouvelles obligations se traduirait en un contrôle plus serré du gouvernement sur les ONG; par exemple, une ONG ayant déclaré une catégorie d’activités et dont les activités en pratique sont jugées différentes par le ministère de l’Intérieur pourrait se voir dissoute. Le décret 4-2020 ne précise pas non plus le processus menant à la dissolution et annulation d’une organisation et ne définit pas non plus ce qui peut être entendu comme « contraire à la loi et à l’ordre public », laissant une très grande latitude au ministère pour agir selon sa discrétion.
Principales préoccupations de la société civile
La Coordination des ONG et coopératives du Guatemala (CONGCOOP) a manifesté son désaccord des réformes à la Loi sur les ONG approuvées par le Congrès, jugeant qu’il s’agissait d’une atteinte à la liberté d’organisation, d’expression et de bénévolat, ainsi qu’au droit constitutionnel d’organisation citoyenne pour le bien commun. CONGCOOP a également dénoncé le projet de loi comme étant une tentative du « pacte des corrompus » pour limiter le travail des défenseures et défenseurs des droits humains et de la société civile.
Par ailleurs, Amnistie internationale s’est dite préoccupée que la réforme puisse mener à la fermeture arbitraire d’ONG et à l’augmentation de la criminalisation des défenseur.es de droits humains par l’imposition de sanctions pénales à des employé.es d’ONG.
Pour sa part, la Fundación Libertad y Desarrollo relève qu’une loi similaire a été développée en Équateur et utilisée dans le but de fermer l’ONG Acción Ecológica, bien connue pour son travail de dénonciation et de pression contre le gouvernement et ses politiques extractivistes.
Frontières troubles et absence de définition des concepts. Vers la diabolisation des ONG et des droits humains?
Le discours des politiciens favorables à la Loi sur les ONG est empreint d’insinuations, comme le montrent les deux exemples suivants.
En novembre 2017, le député à l’origine de l’initiative 5257, Christian Gabriel, affirmait avoir instigué le projet de loi suite à une recherche infructueuse sur les dépenses effectuées par quelques ONG. De quelles ONG était-il question? Le député a répondu ne pas s’en rappeler mais qu’il avait une liste.
La revue de presse contenue dans la présentation PowerPoint élaborée pour justifier la décision présidentielle fait un amalgame de scandales de différents profils impliquant des ONG, ce qui contribue à produire une figure diabolique de cette forme juridique. Il y est question à la fois d’ONG « de carton » créées dans les années 1990 dans le contexte simultané du démantèlement de l’État par les politiques néolibérales et de la création de structures parallèles pour répondre aux appels d’offres publics relatifs à des travaux d’infrastructure (sans toutefois exécuter les travaux, pratique à laquelle tente de mettre jusqu’à ce que le gouvernement mette fin à cette pratique en 2012 – pour le gouvernement central uniquement); de scandales de prostitution en Haïti d’Oxfam international (dont le président est un Guatémaltèque, accusé dans une affaire de corruption au Guatemala); un audit interne imposé à une ONG luttant contre l’exploitation minière suite à des allégations de malversation; des cas d’irrégularités impliquant des politiciens et des ONG, etc.
Un exemple parfait de cet amalgame est la dernière coupure de presse qui explique comment la figure juridique d’ONG a été utilisée dans certains cas comme outils pour détourner les fonds publics : plutôt que de joindre la liste produite par le quotidien La Hora des ONG financées par les ministres et les montants alloués, le secrétariat de communication sociale de la présidence a plutôt joint une liste d’ONG de droits humains, de justice sociale et environnementale, ainsi que des médias indépendants financés par des organisations membres du consortium des donateurs internationaux d’Amérique centrale. Parmi ces ONG figurent des organisations qui ont dénoncé des politiciens pour corruption, poursuivi des militaires pour des crimes commis lors du conflit interne, défendu les droits des peuples autochtones face aux compagnies extractives, produit des investigations indépendantes, etc.
Le discours sur les ONG crée donc un amalgame autour de la figure d’ONG mélangeant celles ayant été impliquées dans les structures de corruption entre fonctionnaires, compagnies privées et ONG que la Commission internationale contre la corruption et l’impunité au Guatemala (CICIG) nomme réseaux politico-économiques illicites (RPÉI) et celles recevant du financement international pour améliorer la reddition de comptes et les possibilités de justice (sociale, environnementale, réparatrice, fiscale, etc.) au pays.
À noter que de nombreuses ONG ayant déposé une plainte contre le projet de loi à la Cour sont identifiées dans la liste des ONG réceptrices de dons internationaux qui était incluse dans la présentation élaborée par le Secrétariat de communication sociale de la présidence. Parmi ces ONG, relevons CALDH, Acción ciudadana, le Comité de unidad campesina (CUC).
Brouillant les frontières entre les différents cas de figure d’ONG, Giammattei a affirmé à la presse le 12 février « Soyons emphatiques : il y a de l’argent qui entre au Guatemala sous l’égide d’ONG, dont l’origine est inconnue, on ne connait pas sa destination et on ne sait pas à quoi il bénéficiera, nous avons eu des cas dans lesquels de l’argent est entré, a été utilisé ou mal utilisé, notamment pour financer des actes criminels ». Quel genre d’actes criminels de la part de quelles ONG? Rien n’est moins sûr. Dans le même article de La Hora, Giammattei justifiait son appui au projet de loi :
Sources :
Barrientos, Ricardo. (11 décembre 2012). ¿Cómo frenamos a las ONG corruptas? Plaza pública. https://www.plazapublica.com.gt/content/como-frenamos-las-ong-corruptas
de Zárate, Ana Martínez et Sas, Luis Ángel. (11 octobre 2011). El señor de las ONG. Plaza pública. https://www.plazapublica.com.gt/content/el-senor-de-las-ong
Maldonado, Joel (2 mars 2020). En suspenso cambios a la Ley de ONG que cobrarían vigencia esta semana. Publinews. https://www.publinews.gt/gt/noticias/2020/03/02/suspenso-cambios-ley-ong.html
Tobar, Javier Estrada. (5 novembre 2017). El partido de Jimmy se venga de las ONG (al estilo africano). Nómada. https://nomada.gt/pais/entender-la-politica/el-partido-de-jimmy-se-venga-de-las-ong-al-estilo-africano/
Tobar, Javier Estrada. (8 mai 2018). ¿Por qué la primera venganza del Pacto de Corruptos es contra las ONG? Nómada. https://nomada.gt/pais/entender-la-politica/por-que-la-primera-venganza-del-pacto-de-corruptos-es-contra-las-ong/
Ce contenu a été mis à jour le 23 juin 2020.