Introduction

En Amérique latine, lutter pour les droits humains est un engagement dangereux se soldant chaque année par un triste bilan de violences à l’encontre des défenseurEs des droits. Le Mexique fait partie des cinq pays les plus touchés par ces violences ciblées (Doran 2015), et ces dernières sont régulièrement dénoncées par des organismes de lutte pour les droits de la personne (Fidh 2019; Human Rights Watch; Frontline Defenders 2020; Amnesty International 2021). Les résistances citoyennes contre les projets extractivistes, les mouvements régionaux pour la reconnaissance des droits autochtones, les luttes contre violences genrées (etc.) sont autant de combats légitimes qui font néanmoins face à la criminalisation par l’État ou ses représentants.

La criminalisation peut se comprendre ici comme un ensemble de procédés judiciaires et extrajudiciaires qui, en interrelation les uns avec les autres, exacerbent l’insécurité des défenseurs des droits humains. On trouve ses prémisses dans des stratégies discursives qui visent à délégitimer certains groupes d’actrices et d’acteurs en les présentant comme des menaces à la paix sociale. Ce travail sur les représentations prépare le terrain pour l’adoption de lois répressives qui judiciarisent un rapport qui était jusque-là de l’ordre du différend politique. La mise en œuvre de ces lois, elle, se traduit en intimidation, en privation de liberté pour des militantes et militants, voire en vulnérabilités face à des violences extra-judiciaires. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous examinerons ici un certain nombre de formes que peut prendre la criminalisation au Mexique illustrant différentes configurations de ce continuum violent.

Une disqualification discursive omniprésente

La recension de rapports produits par des organismes de droits humains au Mexique révèle de fréquents recours à des procédés discursifs stigmatisant les mobilisations collectives comme des menaces à la paix sociale. Il est troublant de constater que les défenseurs des droits humains sont particulièrement ciblés par ces stratégies. Ils et elles peuvent être désignés comme des obstacles au développement du pays dans le cadre de luttes contre l’extractivisme (Garcia Beltran 2018), ou encore des agents participant à l’augmentation de l’insécurité nationale lorsque leur action porte sur la protection des migrantEs (Frontline Defenders et al. 2019). D’autres campagnes diffamatoires peuvent questionner des conclusions et\ou recommandations émises par des organisations œuvrant à la promotion des droits humains (CDHAL 2016).

Ces déclarations visent à discréditer les luttes pour les droits humains en les présentant comme sans fondement. Ainsi, comme le souligne un rapport produit par les Nations Unies (2017), ces outils criminalisants freinent le bon déroulement de certains mouvements sociaux. Ils portent aussi atteinte à la dignité des militants, et peuvent encourager des abus de pouvoir de la part des forces de l’ordre qui s’appuient sur certains termes pour distribuer des accusations arbitraires et justifier les arrestations. Par exemple, dans un contexte de criminalisation des membres de CECOP (Consejo de Ejidos y Comunidades Opositoras a la presa la Parota[1]), des paysanEs autochtones, un raid d’arrestations arbitraires de plusieurs membres dudit groupe a été dénoncé par le centre Tlachinollan (2019a), alors que la privatisation de la liberté de ces membres a été appuyée par des accusations non fondées.


[1] « Le Conseil des Ejidos et des communautés opposés au barrage de La Parota ».  La CECOP est un groupe de résistance (dont les membres sont des paysanEs ou des autochtones) s’opposant à l’installation du barrage de La Parota  (Guerrerro).

Ce contenu a été mis à jour le 24 février 2022.